Ils sont de plus en plus nombreux dans les rues de Nancy et des alentours : les livreurs à vélo.
Peu d’entre eux sont salariés, ils sont travailleurs indépendants, déclarés en auto ou micro-entreprise.
Or, la Cour de cassation a récemment jugé qu’un lien de subordination avec la plateforme web qui le contacte pouvait être retenu puisque le cycliste est géolocalisé par la plateforme, ce qui permet un suivi en temps réel par la société de la position du coursier et de la comptabilisation des kilomètres.
Si la société a en outre un pouvoir de sanction sur le livreur, le lien de subordination paraît difficilement contestable.
La décision concernait la société Take Eat Easy .
Celle-ci pratiquait des sanctions en cas de refus de livraison ou de retards et des bonus lorsque le cycliste dépassait la moyenne kilométrique des autres coursiers.
A ce jour, les plateformes de mise en relation mettent en place des stratégies pour éviter une telle requalification en contrat de travail, notamment par l’emploi de termes qui ne figurent pas dans le code du travail. Il est fait état de prestation de service ou de partenariat et non de travail; de partenaire et non de salarié, etc.
Il convient toutefois d’être attentif aux conditions de mise en oeuvre de ce partenariat.
Rappelons que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité de l’employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail.» (Cass. soc., 13 novembre 1996).
Dans cet arrêt n°1737 du 28 novembre 2018 (17-20.079), la Chambre sociale de la Cour de cassation a retenu que:
Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
Viole
l’article L.8221-6, II du code du travail la cour d’appel qui retient
qu’un coursier ne justifie pas d’un contrat de travail le liant à une
société utilisant une plate-forme web et une application afin de mettre
en relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande
de repas par le truchement de la plate-forme et des livreurs à vélo
exerçant sous le statut de travailleur indépendant des livraisons de
repas, alors qu’il résulte de ses constatations que l’application était
dotée d’un système de géo-localisation permettant le suivi en temps réel
par la société de la position du coursier et la comptabilisation du
nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci et que la société
disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier.
Demandeur(s) : M. B… ; et autres
Défendeur(s) : Mme D… , en qualité de mandataire liquidateur de la société Take Eat Easy ; et autres
Donne acte à la CGT de son intervention volontaire ;
Sur le moyen unique :
Vu l’article L. 8221-6 II du code du travail ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Take Eat Easy
utilisait une plate-forme web et une application afin de mettre en
relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande de
repas par le truchement de la plate-forme et des livreurs à vélo
exerçant leur activité sous un statut d’indépendant ; qu’à la suite de
la diffusion d’offres de collaboration sur des sites internet
spécialisés, M. B… a postulé auprès de cette société et effectué les
démarches nécessaires en vue de son inscription en qualité
d’auto-entrepreneur ; qu’au terme d’un processus de recrutement, les
parties ont conclu le 13 janvier 2016 un contrat de prestation de
services ; que M. B… a saisi la juridiction prud’homale le 27 avril
2016 d’une demande de requalification de son contrat en un contrat de
travail ; que, par jugement du 30 août 2016, le tribunal de commerce a
prononcé la liquidation judiciaire de la société Take Eat Easy et désigné en qualité de mandataire liquidateur Mme D… ;
Attendu que pour rejeter le contredit, dire que M. B… n’était pas lié par un contrat de travail à la société Take Eat Easy
et dire le conseil de prud’hommes incompétent pour connaître du litige,
l’arrêt retient que les documents non contractuels remis à M. B…
présentent un système de bonus (le bonus « Time Bank » en fonction du
temps d’attente au restaurant et le bonus « KM » lié au dépassement de la
moyenne kilométrique des coursiers) et de pénalités (« strikes »)
distribuées en cas de manquement du coursier à ses obligations
contractuelles, un « strike » en cas de désinscription tardive d’un
« shift » (inférieur à 48 heures), de connexion partielle au « shift »
(en-dessous de 80 % du « shift »), d’absence de réponse à son téléphone
« wiko » ou « perso » pendant le « shift », d’incapacité de réparer une
crevaison, de refus de faire une livraison et, uniquement dans la Foire
aux Questions (« FAQ »), de circulation sans casque, deux « strikes » en cas
de « No-show » (inscrit à un « shift » mais non connecté) et, uniquement
dans la « FAQ », de connexion en dehors de la zone de livraison ou sans
inscription sur le calendrier, trois « strikes » en cas d’insulte du
« support » ou d’un client, de conservation des coordonnées de client, de
tout autre comportement grave et, uniquement dans la « FAQ », de cumul de
retards importants sur livraisons et de circulation avec un véhicule à
moteur, que sur une période d’un mois, un « strike » ne porte à aucune
conséquence, le cumul de deux « strikes » entraîne une perte de bonus, le
cumul de trois « strikes » entraîne la convocation du coursier « pour
discuter de la situation et de (sa) motivation à continuer à travailler
comme coursier partenaire de Take Eat Easy » et le cumul de
quatre « strikes » conduit à la désactivation du compte et la
désinscription des « shifts » réservés, que ce système a été appliqué à
M. B…, que si, de prime abord, un tel système est évocateur du pouvoir
de sanction que peut mobiliser un employeur, il ne suffit pas dans les
faits à caractériser le lien de subordination allégué, alors que les
pénalités considérées, qui ne sont prévues que pour des comportements
objectivables du coursier constitutifs de manquements à ses obligations
contractuelles, ne remettent nullement en cause la liberté de celui-ci
de choisir ses horaires de travail en s’inscrivant ou non sur un « shift »
proposé par la plate-forme ou de choisir de ne pas travailler pendant
une période dont la durée reste à sa seule discrétion, que cette liberté
totale de travailler ou non, qui permettait à M. B…, sans avoir à en
justifier, de choisir chaque semaine ses jours de travail et leur nombre
sans être soumis à une quelconque durée du travail ni à un quelconque
forfait horaire ou journalier mais aussi par voie de conséquence de
fixer seul ses périodes d’inactivité ou de congés et leur durée, est
exclusive d’une relation salariale ;
Attendu cependant que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ; que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ;
Qu’en statuant comme elle a fait, alors
qu’elle constatait, d’une part, que l’application était dotée d’un
système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la
société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre
total de kilomètres parcourus par celui-ci et, d’autre part, que la
société Take Eat Easy disposait d’un pouvoir de sanction à
l’égard du coursier, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences
légales de ses constatations dont il résultait l’existence d’un pouvoir
de direction et de contrôle de l’exécution de la prestation
caractérisant un lien de subordination, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 20 avril 2017, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée.
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